EGLISE ORTHODOXE logo du diocèsePATRIARCAT de MOSCOU

DIOCESE DE CHERSONESE
HISTOIRE
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LA FONDATION DE LA PAROISSE DES TROIS SAINTS HIÉRARQUES :
les fondements théologiques et spirituels du retour à l’Icône.


L’importance des canons de l’Eglise

La Sainte TrinitéMais tout cela était par essence impossible sans la rigueur dogmatique dont l’icône véritable, ou « catholique », comme nous l’avons appelée plus haut, est l’expression directe. Le livre d’Ouspensky composé par la suite d’articles publiés petit à petit, la Théologie de l’icône, est le résultat de cet approfondissement et de cette redécouverte du dogme orthodoxe accomplis par la Confrérie. Mais la rigueur dogmatique, pour être féconde, doit se maintenir dans l’amour, c’est-à-dire avant tout dans la communion de l’Eglise. C’est là que se manifeste toute l’importance du respect des canons, si essentiel pour les Confrères.

         « Le miracle de la catholicité, écrit V.Lossky, révèle dans la vie même de l’Eglise l’ordre de vie propre à la Sainte Trinité. Le dogme de la Trinité, ‘catholique’ par excellence, est le modèle, le ‘canon’ de tous les canons de l’Eglise, le fondement de toute l’économie ecclésiastique  ». « Les canons de l’Eglise ne sont pas des formules magiques dont l’application et l’observance aveugle suffirait à créer l’unité ecclésiastique. Ils marquent la limite au-delà de laquelle l’unité d’obéissance à l’Eglise serait rompue, la limite de cette unité qui exclut toute  ‘volonté propre’ à l’image de la Sainte Trinité où il n’existe qu’une seule Volonté. Ou plutôt, puisqu’il s’agit de l’Eglise, Corps du Christ – une union indissoluble des deux volontés : « il a plu à l’Esprit Saint et à nous  ». Tant que les canons sont respectés, l’indépendance de l’Eglise, sa liberté vis-à-vis du monde, son autonomie restent intactes : l’Eglise demeure inébranlable, invincible à travers tous les siècles de son histoire, malgré toutes les persécutions. (…) Mais là où on méprise les canons, le sens de l’indépendance de l’Eglise s’affaiblit. Sa vie se confond avec celle du monde extérieur. (…) En exerçant le pouvoir canonique, la hiérarchie doit toujours poursuivre un double but : la défense de la liberté de l’Eglise vis-à-vis des éléments de ce monde, d’une part, l’économie à l’égard du monde en vue de son salut, d’autre part.  » On voit donc que l’image de la Sainte Trinité préservée dans l’Eglise par les canons, ne consiste pas dans une identité avec la structure tri-hypostatique, mais dans l’identité de la « vie », l’ « unité d’obéissance », c’est-à-dire l’identité du lien qui relie les personnes entre elles, la communion d’amour, qui correspond en Dieu à l’unité de la nature, et dans l’Eglise elle-même et vis-à-vis du monde. La perte de ce lien implique que la vie de l’Eglise « se confond avec celle du monde », or la vie qui est celle du monde, c’est le péché, les passions, la division, et la mort. Quand à la structure de l’Eglise, elle est très clairement décrite par Saint Paul comme celle d’un corps humain avec ses divers membres et dont la tête est le Christ, ou bien comme celle de l’édifice, composé de pierres vivantes, dont le Christ est la pierre angulaire .

        Le Père Grégoire décrit avec une grande force cette unité de l’Eglise : « Cette unité, qui constitue la nature de l’Eglise, est le vase précieux et intact qui garde la sainteté de l’Eglise. (…) De même qu’un liquide ne peut remplir qu’un vase qui n’est pas cassé, de même la sainteté ne peut être dans sa plénitude que là où n’est pas endommagée son unité. (…) Toute hérésie et tout schisme dans l’Eglise sont la destruction de l’image de la Sainte Trinité, image dans laquelle naît et vit l’unité indissoluble de l’Eglise. (…) La force de l’unité ecclésiale n’est pas dans une uniformité élémentaire, mais dans un accord aux multiples composantes ; elle est née par l’accord indissoluble [des personnes] de la Sainte Trinité. (…) C’est seulement dans la lumière de la Sainte Trinité que peut être comprise l’unité de l’Eglise. (…) La succession apostolique qui a été donnée par le Sauveur après la Résurrection, a reçu une confirmation définitive dans la fête de la descente du Saint Esprit et a été emplie de la gloire agissante et de la plénitude de l’action spirituelle.

        « Le principe de la hiérarchie, confié aux Apôtres, a brillé à la Pentecôte d’une pureté éternelle  et ce pouvoir des Apôtres a reçu la possibilité d’être transmis par l’imposition des mains apostoliques et, par droit de succession, des mains épiscopales ; il est transmis, gardé et agit dans l’Eglise comme une sorte de mouvement ininterrompu, comme un flot intarissable.  »

L’esprit de la filiation

La Pentecôte Cette attitude de respect vis à vis des canons implique, au niveau spirituel, le même respect de la filiation. Dire que telle Eglise locale tire sa canonicité de l’Eglise universelle, par exemple, et non d’une autre Eglise locale, implique le refus de la filiation spirituelle, ce qui est aussi mortel au niveau ecclésial qu’au niveau personnel. Cette filiation est indispensable à la gestation, à l’engendrement  comme à la maturation de l’être spirituel ; elle est indispensable à la nouvelle naissance d’en haut. La Tradition de l’Eglise signifie la « transmission » du don du Saint Esprit ; et cette transmission, comme tout ce qui se passe dans l’Eglise de la Divinité Tri-personnelle, ne peut être que personnelle, s’effectuer d’une personne à une autre, dans l’unité d’obéissance qui découle de l’amour. La Tradition est la Tradition des Pères,  de nos Pères, ceux qui ont ouvert nos yeux spirituels.

        La filiation de l’Eglise Mère est personnelle, hypostatique, elle n’est ni culturelle ni linguistique. Il ne suffit pas de parler la même langue ni de chanter les mêmes mélodies si la communion a été rompue par ailleurs avec ceux qui nous ont communiqué le don du Saint Esprit. Mais ce serait une folie de vouloir refuser, en tout cas pour point de départ et pour donnée de base, les formes à travers lesquelles nous avons reçu « la lumière de la Vie », et qui sont aussi, entre autres, culturelles et linguistiques. Les choses se passent de la même manière tant dans la vie de chacun que dans la vie des Eglises. Saint Paul dit : « Quand vous auriez dix mille maîtres en Christ, vous n’avez cependant pas plusieurs pères, puisque c’est moi qui vous ai engendrés en Jésus Christ par l’Evangile. Je vous en conjure donc, soyez mes imitateurs .» Il est donc inévitable que cette « imitation » s’accompagne d’une intégration plus ou moins grande des formes culturelles qui caractérisent l’enseignement et la personnalité de nos maîtres.

        Dans le même sens, il est impossible qu’une Eglise universelle, comprise comme une abstraction, distincte d’une ou des Eglises locales, ou bien comprise comme leur ensemble, à la manière de l’universalisme romain, engendre une nouvelle Eglise locale ; et cela ne devrait pas être « n’importe » quelle  Eglise locale ; mais de l’Eglise locale Mère, qui est universelle parce que catholique, l’Eglise locale Fille, en recevant l’être, reçoit et l’universalité et la catholicité.

        C’est aussi la même chose dans l’iconographie : une icône spécifiquement locale ne peut naître dans le refus des propriétés personnelles, et donc aussi culturelles, des maîtres qui nous ont  transmis, à travers ces formes mêmes, l’iconicité universelle, c’est-à-dire qui ont ouvert nos yeux spirituels. La personnalité de chacun est aussi constituée de ce qu’ont été ses maîtres, au même titre que de sa nationalité.  Et c’est à travers l’approfondissement de cette iconicité déterminée que, peu à peu, l’authenticité de la vie spirituelle fera jaillir une nouvelle iconicité locale, à partir des caractéristiques propres qui constituent la personne de chacun, sa nationalité, sa culture, son expérience, et qu’un style nouveau se créera de lui-même, sans élaboration réfléchie et sans recherche. Le seul souci demeure l’ascèse spirituelle et l’exigence d’iconicité : « Cherchez d’abord le Royaume des Cieux et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». « Nous disons que ce qui est vrai ne craint rien ; et nous pouvons aussi dire ceci, que ce qui est vrai apparaît sans effort. (…) La Mère de Dieu est Celle qui porte sans effort. (…) C’est sans effort qu’elle donna naissance à Dieu par l’opération du Saint Esprit qui vint sur Elle. Les choses qui sont vraies sont celles qui se produisent sans effort. Comme dit le Seigneur dans l’Evangile : ‘Voyez comment croissent les lys des champs ; ils ne peinent ni ne filent’. Ils ne se fatiguent pas, ils ne tissent pas, et pourtant Salomon dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux.  ».

         Il faudrait donc éviter de reprendre tel ou tel style iconographique pour des questions de goût ou de « mode » ou de nationalité, en quelque sorte « de force ». Reprendre un style artificiellement, ce qui est une tentation répandue de nos jours à cause de l’expansion des reproductions photographiques, manifeste une sorte de refus d’obéissance, et donc de la filiation, c’est quelque chose de très grave : il empêche la résurrection qui succède à la mort de l’obéissance. Et sans cette nouvelle naissance, il n’y a pas non plus d’homme nouveau ni de création nouvelle.

Le socle hésychaste

L'AscensionLa filiation ecclésiale et spirituelle est le garant de la fécondité, et de la force de la prière et de la créativité artistique – bien sûr en tant qu’elles sont des activités divino-humaines, c’est-à-dire qui impliquent la collaboration entre Dieu et l’homme. Si la circulation de ce courant de vie est interrompue, il n’y a plus ni prière ni création. Reste la nécessité d’accepter humblement de n’être pas libre de choisir celui qui nous a engendré en esprit, mais de l’accepter des mains de  la Providence, tel, par exemple, qu’Elle le présenta dans la personne du Père Athanase aux yeux du futur métropolite Antoine, comme nous l’avons vu plus haut.

        Ce courant de vie a pour fruit la prière, et il ne peut se développer sans l’hésychasme, comme perfection de la vie spirituelle. C’est l’hésychia que Saint Isaac le Syrien nomme, elle aussi, « catholique » parce qu’elle possède le Christ intégral et qu’elle unit celui qui prie à tous les hommes. « L’icône – [comme l’icône de la Saint Trinité peinte par Saint André Rublev, l’icône même de l’Hésychia] – est un témoignage de la déification de l’homme, de la plénitude de la vie spirituelle, une communication par l’image de ce qu’est l’homme en état de prière sanctifié par la grâce. C’est en quelque sorte de la peinture d’après nature, mais d’après la nature rénovée, à l’aide de symboles. Elle est le chemin et le moyen ; elle est la prière même. De là, la majesté de l’icône, sa simplicité, le calme du mouvement, de là le rythme de ses lignes et de ses couleurs qui découle d’une harmonie intérieure parfaite.  »

        Le Père Athanase Netchaïev, pendant douze ans, fut cette icône et celui qui porta spirituellement la communauté, moines et paroissiens, de la rue Pétel. Des réunions monastiques étaient organisées régulièrement et tous les moines et candidats au monachisme y assistaient pour approfondir leur connaissance. Le futur  métropolite Antoine fit une fois un exposé sur Saint Nil de la Sora. Le père Athanase ne venait jamais. Le métropolite Antoine lui demanda pourquoi. Il répondit : « Le monachisme, on ne peut en parler, il faut le vivre ». En 1943, malade, il écrivit un mot au métropolite : « Je viens d’avoir l’expérience de ce qu’est le silence contemplatif. Maintenant, je peux mourir. » Trois jours après, il était mort .

        Il fut le Père spirituel non seulement du métropolite Antoine, mais aussi de l’Archimandrite Serge Schevitch qui devint moine lui même avant sa mort en 1943, et fut lui-même le père spirituel du père Grégoire Krug. Tous étaient des hommes de silence et de prière, des hésychastes. Il y eut toujours ainsi à l’Exarchat la continuité d’un socle monastique, enraciné dans la tradition spirituelle du monastère de Valaam. En effet, dans les quelques années qui suivirent la mort du Père Serge en 1987 également, trois monastères furent fondés qui prirent à leur tour la relève de l’hésychasme et de la prière ininterrompue.  Mais d’autre part, que ce soit sur place, ou bien plus tard, dans la maison de Nicolas Berdiaev, une petite communauté monastique fut toujours associée à l’Eglise des Trois Saints Hiérarques. Le Père André Sergueenko, par ailleurs, en 1934, avait acquis un terrain dans la vallée de Chevreuse sur lequel il avait bâtit une église et une petite maison. Il légua le tout au Père Serge Schevitch lorsqu’il rentra en Russie en 1945 et c’est là que vécut le Père Grégoire à partir de 1948, lorsqu’il eut prononcé ses vœux monastiques.

        Devant la pauvreté de la communauté qui n’arrivait pas à faire vivre les prêtres, on décida en 1933 de fonder une autre paroisse, puis une deuxième en 1935, pour essayer de toucher un plus grand nombre de paroissiens et d’améliorer la situation. Ainsi le Père Stéphane Svetozarov, fonda la paroisse de la Sainte Trinité  à Vanves, impasse Alexandre, où Krug peignit déjà des icônes, comme la grande icône de la Trinité, paroisse qui fut transférée plus tard rue Michel-Ange. Deux ans plus tard, le Père Michel Belsky fonda la paroisse de Sainte Geneviève, rue de la Montagne Sainte Geneviève. Des paroissiens de la rue Pétel, parmi les plus fidèles, furent répartis entre les deux paroisses. Le futur Père Serge fut délégué à la Paroisse de Vanves et le futur métropolite Antoine à celle de la Montagne Sainte Geneviève. Cette paroisse, « la plus pauvre de Paris » , comptait parmi ses paroissiens le peintre Milioti, Eugraphe Kovalevsky – qui chantait au kliros, les Zimine, les Lossky… Dans l’esprit des fondateurs, cette paroisse devait être l’église de la Confrérie et relayer ses activités missionnaires. Au départ, on reprit la célébration des deux rites, l’oriental en slavon et l’occidental en français. Mais il fallait pour cela deux prêtres et les français se faisaient trop rares. On se mit donc à célébrer peu à peu seulement le rite oriental, et par la suite uniquement en français. La tâche principale devint alors peu à peu la traduction des textes orientaux. « Le P. Michel Belsky, écrit plus tard E. Kovalevsky, dont la paroisse recueillit certains éléments français [après le départ du Père Lev Gillet en 1938], continuait dans une certaine mesure l’œuvre de l’Orthodoxie Française. Mais il était lié par la majorité écrasante de ses paroissiens qui étaient russes  ». C’est là que le métropolite Antoine fut tonsuré moine, en secret parce qu’il était médecin, par le père Athanase Netchaev et en présence du Père Serge.


 
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25/11/2003